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« Les roms oubliés par l’histoire »

La survivance du peuple rom est aujourd’hui, plus encore que par le passé, un défi.  Depuis ses lointaines origines indiennes et tout au long de ses déplacements pacifiques, ce peuple n’a cessé de connaître la persécution. Au plus près de nous, la politique génocidaire d’Hitler.

Face à une offensive qui aujourd’hui se déclare désormais haut et fort, car préparée de longue date et propagée sans vergogne dans les media, et alors même que les descendants des victimes tziganes veulent faire reconnaître le rôle et les responsabilités des états dans leur anéantissement historique, l’image des Roms/Gens du voyage en est devenue telle, que les nouvelles mesures volontaristes de leur mise à l’écart passent sans protestation citoyenne aucune.

 

 

 


1.  Mise en perspective

La survivance du peuple rom est aujourd’hui, plus encore que par le passé, un défi.  Depuis ses lointaines origines indiennes et tout au long de ses déplacements pacifiques, ce peuple n’a cessé de connaître la persécution. Au plus près de nous, la politique génocidaire d’Hitler.

L’holocauste de la Deuxième Guerre Mondiale  fait  7.500.000 victimes tziganes(cf. Vania de Gila-Kochanowski ; Huguette Tanguy, Parlons tsigane : histoire, culture et langue du peuple tsigane, Collection  « Parlons », Edition L’Harmattan, 1984. cliquez ici) : « Simon Wiessenthal, le chasseur de nazis bien connu, chiffre à deux millions l’holocauste tsigane dans les camps et les prisons. Mais tous les autres ? Les témoignages des populations européennes sous la botte allemande abondent sur leurs exécutions massives, partout où on les trouvait : dans les champs, dans les forêts, sur les routes… et, comment oublier tous les tsiganes morts en combattant dans les armées régulières ou parmi les partisans ? Et les jeunes tsiganes enrôlés de force dans les SS ou à la Wehrmacht, évadés, repris et fusillés ».(cf. Vania de Gila-Kochanowski ; Huguette Tanguy, Parlons tsigane : histoire, culture et langue du peuple tsigane, Collection  « Parlons », Edition L’Harmattan, 1984. cliquez ici)

Certains historiens ont jusqu’il y a peu prétendu que la méthodologie  nazie suivait uniquement une logique concentrationnaire, excluant de facto toute possibilité d’assassinats de tziganes sur les bords des routes par les nazis et leurs collaborateurs locaux. Ce fut pourtant  massivement le cas en Belgique et en France. Ce révisionnisme historique, qui d’abord nie les nombreux témoignages et ensuite met de surcroît les victimes en concurrence (juives de l’Est /juives de l’Ouest, ainsi que  victimes juives/ victimes tsiganes), est désormais démasqué, grâce notamment aux recherches  sur les crimes par balles commis notamment par  les « Einsatzgruppen». Recherche  que l’on doit  à  Tarik Cyril Amar, directeur des études au Centre pour l’histoire urbaine d’Europe de l’Est à Lviv.

La majorité des victimes tziganes sera assassinée sur les bords des routes d’Europe.
D’autres seront exterminées via des programmes nationaux  d’extermination, comme en Roumanie ou en Croatie.
500.000 d’entre-elles seront déportées vers des camps de concentration  nazis, où elles seront exterminées.     
A Auschwitz, les nazis déportèrent 23.000 Tziganes où ils furent parqués en groupes familiaux dans une enclave séparée comprenant 40 baraques en bois. Le Docteur Mengele les utilisait dans ses expériences médicales. 20.078 d’entre eux y moururent suite à des expériences médicales, gazés, de maladies ou d’épuisement.

Beaucoup de pays d’Europe ont participé à l’extermination des Tziganes : Allemagne, France, Italie,… Belgique. Souvent ils ont organisé leur élimination  et le pillage de leurs richesses, déjà avant l’occupation. La même politique anti-roms/sintis était  à l'œuvre (en prévision de leur extermination ?) dans l'Europe dite démocratique d’avant guerre.


Les raisons en sont diverses :

D'abord les tsiganes constituaient une population déjà ostracisée et n’ayant aucun  soutien dans la population dite majoritaire.
Ensuite il y avait de vraies fortunes à prendre, par exemple les entreprises sidérurgiques tenues par des patrons tziganes ; les entreprises du transport international,  de la vente  automobile et donc liés à l'automobile, le commerce du vélo, la course cycliste…, comme ce fut  le cas dans ma famille, avant guerre.  Ou encore de multiples activités commerciales, toutes passées aux mains des « gadjé », comme par  exemple le théâtre ( Cf. l'article  sur ce site « Théâtre en déshérence(*) et artistes tziganes « disparu »… »), la foire foraine, avec  son matériel coûteux,  « confisqué », volé…  ainsi l'or des gitans, un trésor qui avait  grossi avec le temps

En Allemagne, dès 1933 Hitler mettra en pratique sa politique d’élimination des tsiganes, déjà annoncée dans « Mein Kampf »(cf. Vania de Gila-Kochanowski ; Huguette Tanguy, Parlons tsigane : histoire, culture et langue du peuple tsigane, Collection  « Parlons », Edition L’Harmattan, 1984. cliquez ici) Dans la semaine du 18 au 25 septembre 1933 aura lieu une rafle de 10.000 mendiants et  vagabonds. Ils furent arrêtés et internés dans des camps de concentration. Cette opération fut menée par  la police aidée par des SS et des SA.

Dès 1935 des camps de concentration pour tsiganes sont mis en fonction à la périphérie des villes (ex : camps de Cologne en avril 1935)
Des tziganes de Belgique et de France vont alors aussi être choisis pour expérimenter  la solution finale, avant l’occupation :


Des membres de familles  belges  seront arrêtés en 1936, près d’Hambourg, sans que la Belgique,  pourtant souveraine, ne réagisse ni ne s’en émeuve. Ils seront envoyés d'abord dans un camp Allemand, puis vers l'Est dans un camp d’extermination. Un de leurs enfants, aujourd'hui agé se souvient du nom de leur Kapo: un nom qui se termine en « ic » (prononcer "itch"), il ajoute que le kapo, particulièrement cruel, était un rom musulman.
Ils sont morts par le gaz et brûlés dans les fours crématoires.

Or on sait aussi par Primo Lévi qu'un "musulman"  à Auschwitz désignait un détenu qu'on emmenait VIVANT au four.
Le kapo étant toujours une victime, la même politique a donc sévi simultanément dans plusieurs régions d'Europe avant l’occupation par l’Allemagne de ces pays.


2. L’occultation de l’histoire en Belgique et en France

En Belgique, et en France l’occultation a été particulièrement hideuse : aucune enquête  n’a jamais été ouverte sur les crimes perpétrés contre les roms et sintis avant et pendant l’occupation, ni même sur les déportations des roms et sintis par les nazis et leurs collaborateurs.

La seule et unique « recherche » historique qui ait eu lieu sur les tziganes en Belgique, relative à cette époque, fut réalisée sur le « convoi Z », dernier convoi envoyé depuis la caserne Dossin (Malines) vers Auschwitz, et qui contenait près de 400 déportés roms, sintis et voyageurs. 
Ce pays n’a jamais entamé, ni accompli le devoir moral de mettre en lumière l’attitude coupable qu’il a eue à leur égard. Des archives existent pourtant, et ont été placées en sureté en Hollande : elles concernent entre 30 000 et 60 000 tsiganes belges…

Dommage collatéral : hormis de très rares cas, les fonctionnaires ayant perpétré ces crimes et déportations n’ont jamais fait l’objet de recherches. Ces éléments pro-nazis n’ayant pas été désignés ni encore moins évincés depuis les faits, ils sont restés  en  place,  jusqu’à  la pension.  Les  conséquences  pour  les  rescapés de ces persécutions  et  pour  leurs   familles  ont été gravissimes :  aucun moyen pour eux d’apporter leur témoignage  sous  peine  de  représailles  immédiates.  La  compréhension  de ces réalités  « du 3ème type »  ne  peut  découler  que  de  la  connaissance  d’autres  faits  étranges… :


-       Ces pays ont maintenu de nombreuses lois anti-tziganes, ainsi que des procédures anti-tziganes : carnets de gitans,  arrestations arbitraires,  propagande, fichage ethnique, interdictions de leurs métiers par loi ou par réglementation communale, …

-       Aucune enquête historique  n'a été ouverte jusqu'aujourd'hui. A fortiori aucune reconnaissance du génocide et de la part de responsabilité n'a été énoncée par ces  deux pays

-       Jusqu'en 1998, soit 10 ans avant sa mort tranquille en 2008, l'incontournable Médiateur des tziganes fut en Belgique, en Flandre et en Communauté française, un ancien membre des jeunesses Hitlérienne, qui commit nombre d'atrocités au camp de Breendonk que dirigeaient ses parents. Si son père fut arrêté à la libération en Allemagne alors qu’il fuyait la Belgique, et qu’il fut ensuite  jugé à Nuremberg, sa mère, particulièrement connue pour sa cruauté, bénéficiât de toutes les duplicités et de toutes les protections en Belgique, où elle mourut en 2005 à un âge avancé, en toute quiétude, dans sa roulotte de Neder-hoverembeek, « cachée » au milieu des « voyageurs » belges, qui ignoraient sa véritable histoire. Quant à René Debodt il bénéficiât d’un statut unique en Belgique, taillé sur mesure pour les amis du Reich : un statut de fonctionnaire à la SABENA, doublé d’un statut de semi industriel, qui lui permettait de prendre en tant que fonctionnaire son pourcentage sur toute l’essence vendue à la SABENA. 

-      Autre fait troublant, dans ce sombre tableau, l’oubli  persistant de l’histoire : même l’argent versé par l’Allemagne à la Belgique pour ces victimes, il y a 40 ans, n’a jamais été alloué. Pas un centime n’a été versé, malgré les plaintes des familles.

…La guerre n’est pas finie…


3. Guerre et politique de l’ONU


C’est dans les pays de l’ex-Yougoslavie que les Tziganes paient le plus cher leur différence. Depuis le début de la guerre et « grâce » à l’aide  des forces de l’Onu, et en particulier de la K.F.O.R., les victimes des massacres sont au nombre de 500.000 Roms. Mais personne ne sait qu’ils furent  massacrés.
Personne n’a mentionné qu’ils furent recherchés et assassinés en tant que Tziganes.



4. Les oubliés de la mémoire du génocide.

La façon de regarder l’autre pourrait un jour changer

Le racisme et la persécution dont les Tziganes sont encore victimes partout en Europe ne trouvent pas une opposition publique large. Les protestations sont exceptionnelles.                                 

A l’exception des protestations contre l’expulsion des tziganes de Slovaquie par la Belgique, depuis le « centre fermé 127bis » et via des avions militaires, les démocrates ne se manifestent guère devant la condition faite aux minorités tziganes. Ils sont victimes d’une politique délibérée – mais non déclarée – qui les exclut de toute forme d’insertion possible (métiers, lieux d’habitation…) malgré les nombreuses résolutions et recommandations européennes – jamais suivies - depuis deux décennies.


Aucune brèche dans ce mur de silence qui entoure ces agissements n’est venue s’ouvrir. Ils sont les « oubliés » et de la mémoire du génocide, et, après les guerres en Yougoslavie, ils sont encore oubliés par tous ceux dont les combats sur le front démocratique rendraient susceptible de dévoiler leur condition.
Personne ne se soucie même des réparations auxquelles ils ont droit suite au nazisme, et qui ont bel et bien été versées il y a 40 ans.


Par contre,  le rejet de ce peuple est enraciné partout et dans toutes les mentalités, comme si l’éructation de Hitler continuait à résonner dans nos esprits et à dicter en nous le dégoût pour l’autre : le sale, le mendiant, le voleur…

Et pourtant la reconnaissance du Porajmos ou  Samudaripen  (équivalent de la Shoa, pour les tsiganes) est la condition sine qua non de la reconstruction du peuple rom/sinti, de son émancipation et  par conséquent de son intégration,  après son anéantissement historique.


6. l’aspiration à l’intégration


La façon de regarder l’autre pourrait un jour changer et devenir plus positive, ce à quoi nous souhaitons contribuer.

Il serait important pour commencer, de connaître comment ce peuple hétérogène, présent sur tous les continents, vit, quelles sont ses valeurs :                


-       Mode de vie lié au voyage, mais sous différentes formes.

-       Valeurs individualistes et de liberté.

-       Mais aussi grande importance donnée à la vie en collectivité   et à  la famille.


Les Tziganes se reconnaissent tous dans ces traits communs. Bon nombre de différences les distinguent cependant les uns des autres : pays, métiers, normes de vie, religion, niveau social…


Dans plusieurs grandes villes on trouve encore  une « rue des Chaudronniers » ou des « Zingeurs »… signe que ces métiers furent  les leurs.
A contrario des métiers corporatistes, plusieurs autres activités sont investies à  tous les niveaux sociaux : intellectuels, fonction publique, politique, étatique, etc.
Et  c’est  dans la vie intime, au  sein  des familles, avec leurs rituels  de   mariage, de naissances…,  que  les hommes deviennent  des musiciens :  les  «  musiciens  tziganes».

Il serait également important de donner l’espace approprié à cette culture spécifique en Europe.

Or, les Tziganes sont toujours considérés comme citoyens de seconde zone dans les pays dans lesquels ils vivent, alors même qu’ils revendiquent aujourd’hui la reconnaissance de leur culture.

Des conditions  de vie en accord avec leurs  aspirations impliqueraient la prise  de décisions politiques importantes telles que : 

-      Des terrains dignes de ce nom pour le stationnement des caravanes. Cela impliquerait, comme pour tout riverain, l’alimentation en eau, en électricité et un service de ramassage des poubelles.

-       La possibilité de franchir les frontières nationales des quarante pays    qui composent le territoire européen.

-       Le droit d’accueil, et une protection collective pour ceux et celles qui fuient les persécutions raciales.


Des  programmes de l’Union Européenne existent où des projets groupés de pays différents pourraient s’inscrire, mais il faudrait une réelle volonté politique…

Pour rappel, en 1998 la Belgique a déporte 70 Tziganes Slovaques, hommes, femmes, enfants.
Cet acte a été  dénoncé  massivement par  les   mouvements de  résistance, suivis par  les média et constaté par « Amnesty International ». La Cour Européenne  des Droits de  l’Homme a condamné la  Belgique.
Cependant il ne s’agissait pas d’une action isolée : en effet, des déportations de Tziganes ont lieu en permanence suite à des arrestations massives, des convocations de police trompeuses, ou, pour les enfants mineurs,  des arrestations à  l’école, où ils sont clairement visés comme groupe ethnique.                      


7. La  nouvelle politique européenne

Il apparaît à plusieurs signes que l’Union européenne, sous l’impulsion de la France, est occupée à la mise en œuvre d’une politique nouvelle à l’égard de ses populations Roms/Sintis.
Nouvelle en ce qu’elle rompt avec ses précédents efforts progressistes.
Rupture devancée par une stratégie politique visant les Roms et que l’on peut désormais trouver par écrit dans les nouveaux documents de l’UE, depuis la présidence de la France en 2009. 
A l'occasion de cette présidence la France a trouvé appui chez ses alliés traditionnels et chez les pays adhérents où il existe de fait une « Question Tzigane » sensible.

Nous connaissons tous les évènements tragiques dont les Roms/Sintis, leurs familles, leurs enfants, sont victimes en Europe. La mise en application de la Directive du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique laissait un espoir.
L’heure a-t-elle sonné de cet espoir ? Face à une offensive qui se déclare désormais haut et fort, car préparée de longue date et propagée sans vergogne dans les media. L’image des Roms/Sintis en est devenue telle, que les nouvelles mesures volontaristes de leur mise à l’écart passent sans protestation citoyenne aucune.

Le 16 septembre 2008, avait lieu le « 1er sommet européen sur les roms », il s’agissait d’une « prise de pouls » pour planter les premiers jalons d’une politique anti-rom. Aucun article de presse, ni aucun commentaire sur ce sommet n’en a fait état.


Maude Aïda COLS (copy right n° 1807)